Ecrire de A à Z

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Histoires courtes


L'écrivain public

J’exerce le métier d’écrivain public, et en cette année de 1912 avec l’école obligatoire, il est moins pratiqué. Mais comme dans cette ville, de nombreuses personnes sont étrangères et ne savent ni lire, ni écrire, les clients sont encore nombreux. Je m’installe dans la salle du café près de la gare, et je trempe ma plume dans l’encrier.

Je suis fier de mon métier, et je me mets au travail avec plaisir.

Chaque client est différent, tant dans la correspondance qu’il veut envoyer que dans les objectifs qu’il poursuit. De la lettre de l’amoureux, à la lettre aux parents jusqu’aux papiers administratifs, toutes les lettres ou missives doivent faire transparaître les sentiments. L’amour, les nouvelles de la vie, le descriptif du métier, la demande auprès de l’administration, le discours du syndicaliste, l’annonce dans le journal, tout y passe. Je suis connu dans le quartier, et comme je demande peu, et parfois rien pour les plus démunis, ma clientèle grossit.

Je suis fier de mon métier, et je me mets au travail avec plaisir.

Un jour, je vis arriver devant moi, une toute petite vieille qui me regardait d’un air triste et ne savait pas quoi me dire. Je l’invitais à s’asseoir et lui demandais ce qu’elle souhaitait.

‒ Voilà, Monsieur, mon fils est parti travailler à Paris. C’était il y a quatre ans. Au début, il m’écrivait, pas souvent mais au moins j’avais de ses nouvelles. Et puis, les lettres se sont espacées, et depuis près d’un an, je n’ai plus de nouvelles. Je sais qu’il va bien, car j’ai une sœur qui n’habite pas loin de chez lui et qui l’aperçoit parfois. Il paraît qu’il est très occupé, il travaille comme mécanicien, dans un garage. Il a rencontré une fille, je crois qu’ils se sont mariés et qu’elle attend un enfant. C’est normal qu’il n’écrit pas, vous comprenez, il y a beaucoup de travail. Mais je voudrais lui écrire, pour lui donner de mes nouvelles. Il m’en donnera, peut-être en retour. Cela me ferait plaisir. Mais je ne sais pas écrire, et pour lire les lettres qu’il m’envoyait, c’est ma voisine qui me les lisait.

Elle s’arrêta de parler, et je compris qu’elle n’avait plus fait un tel discours depuis bien longtemps, elle vivait seule et n’avait plus de famille ici.

‒ Et bien, on va lui faire une belle lettre, puisque je crois comprendre que vous avez son adresse. Quel est son prénom ?

‒ Auguste, mais quand il était petit, je l’appelai mon cœur, c’était mon seul fils, mon seul enfant.

‒ On va donner des nouvelles à Auguste. Vous allez me décrire ce que vous faites, votre santé et pendant que vous parlez, je vais écrire.

Évidemment, je n’écrivis pas du tout ce qu’elle me racontait, enfin pas tout à fait, je préférais écrire ce qu’elle ne dirait jamais mais qu’elle avait sur le cœur.

 

Quelques semaines plus tard, j’appris par elle que son fils et sa famille était venue la voir. La joie illuminait son visage.

Mes occupations d’écriture me prennent beaucoup de temps, et me procurent assez d’argent pour que je vive de ma plume, cette plume que je trempe dans l’encrier.

Je suis fier de mon métier, et je me mets au travail avec plaisir.


16/05/2016
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